Lorsque
le processus de médiation débute les parties en conflits ne peuvent s’empêcher
de se percevoir chacun comme des belligérants sur le pied de guerre. Une
médiation ne commence donc pas nécessairement dans une ambiance détendue et
apaisée.
L’un
des exercices les plus complexes à effectuer au cours de la médiation est d’accepter
de considérer que la responsabilité du conflit qui oppose les parties en
conflit n’incombe pas uniquement à l’une d’elle. De la me façon, il est nécessaire
de ne pas considérer que l’une des parties est en tort et que l’autre détient
la vérité sur ce conflit.
En
réalité, les parties ont bien souvent raison. Cette raison est relative et leur
appartient car elle est cohérente avec le modèle de pensée de celles-ci.
L’allégorie
de la caverne est un exemple très souvent présenté aux médiateurs car elle
offre un éclairage fort sur cette question. Elle permet notamment de démontrer
que la vérité est relative car elle dépend pleinement du cadre de référence
d’une personne, cadre modelé notamment au fil du temps par la culture,
l’éducation de chaque individu et qui le conduit à considérer une chose pour
vraie, dès lors qu’elle présente une réelle cohérence avec son cadre de
référence.
C’est
notamment pour cela que les parties qui entendent entrer en médiation doivent
être prêtes décrire leur vérité et à écouter la vérité de l’autre.
Je
vous invite à lire le texte qui suit. N’hésitez pas à me faire part de vos
impressions dans les commentaires.
Platon, La République, trad.
Victor Cousin (1833), livre VII : le mythe de la caverne.
- [514a] Maintenant, repris-je, pour avoir une idée de la
conduite de l’homme par rapport à la science et à l’ignorance, figure-toi la
situation que je vais te décrire. Imagine un antre souterrain, très ouvert dans
toute sa profondeur du côté de la lumière du jour ; et dans cet antre des
hommes retenus, depuis leur enfance, par des chaînes qui leur assujettissent tellement
les jambes et le cou, qu’ils ne peuvent ni changer de place [514b] ni tourner
la tête, et ne voient que ce qu’ils ont en face. La lumière leur vient d’un feu
allumé à une certaine distance en haut derrière eux. Entre ce feu et les
captifs s’élève un chemin, le long duquel imagine un petit mur semblable à ces
cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs, et au-dessus
desquelles apparaissent les merveilles qu’ils montrent.
- Je vois cela.
- Figure-toi encore qu’il passe le long de ce mur, des
hommes [514c] portant des objets de toute sorte qui paraissent ainsi au-dessus
du mur, des figures d’hommes [515a] et d’animaux en bois ou en pierre, et de
mille formes différentes ; et naturellement parmi ceux qui passent, les uns se
parlent entre eux, d’autres ne disent rien.
- Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers.
- Voilà pourtant ce que nous sommes. Et d’abord, crois-tu
que dans cette situation ils verront autre chose d’eux-mêmes et de ceux qui
sont à leurs côtés, que les ombres qui vont se retracer, à la lueur du feu, sur
le côté de la caverne exposé à leurs regards ?
- Non, puisqu’ils sont forcés de rester toute leur vie
[515b] la tête immobile.
- Et les objets qui passent derrière eux, de même aussi
n’en verront-ils pas seulement l’ombre?
- Sans contredit.
- Or, s’ils pouvaient converser ensemble, ne crois-tu pas
qu’ils s’aviseraient de désigner comme les choses mêmes les ombres qu’ils
voient passer ?
- Nécessairement.
- Et, si la prison avait un écho, toutes les fois qu’un des
passants viendrait à parler, ne s’imagineraient-ils pas entendre parler l’ombre
même qui passe sous leurs yeux ?
- Oui.
- [515c] Enfin, ces captifs n’attribueront absolument de
réalité qu’aux ombres.
- Cela est inévitable.
- Supposons maintenant qu’on les délivre de leurs chaînes
et qu’on les guérisse de leur erreur : vois ce qui résulterait naturellement de
la situation nouvelle où nous allons les placer. Qu’on détache un de ces captifs
; qu’on le force sur-le-champ de se lever, de tourner la tète, de marcher et de
regarder du côté de la lumière : il ne pourra faire tout cela sans souffrir, et
l’éblouissement l’empêchera de discerner les objets dont il voyait [515d]
auparavant les ombres. Je te demande ce qu’il pourra dire, si quelqu’un vient lui
déclarer que jusqu’alors il n’a vu que des fantômes ; qu’à présent plus près de
la réalité, et tourné vers des objets plus réels, Il voit plus juste ; si
enfin, lui montrant chaque objet à mesure qu’il passe, on l’oblige, à force de
questions, à dire ce que c’est ; ne penses-tu pas qu’il sera fort embarrassé,
et que ce qu’il voyait auparavant lui paraîtra plus vrai que ce qu’on lui
montre ?
- Sans doute.
- [515e] Et si on le contraint de regarder le feu, sa vue
n’en sera-t-elle pas blessée ? N’en détournera-t-il pas les regards pour les
porter sur ces ombres qu’il considère sans effort ? Ne jugera-t-il pas que ces
ombres sont réellement plus visibles que les objets qu’on lui montre ?
- Assurément.
- Si maintenant on l’arrache de sa caverne malgré lui, et
qu’on le traîne, par le sentier rude et escarpé, jusqu’à la clarté du soleil,
cette violence n’excitera-t-elle pas ses plaintes [516a] et sa colère? Et lorsqu’il
sera parvenu au grand jour, accablé de sa splendeur, pourra-til distinguer
aucun des objets que nous appelons des êtres réels ?
- Il ne le pourra pas d’abord.
- Ce n’est que peu à peu que ses yeux pourront s’accoutumer
à cette région supérieure. Ce qu’il discernera plus facilement, ce sera d’abord
les ombres, puis les images des hommes et des autres objets qui se peignent sur
la surface des eaux, ensuite les objets eux-mêmes. De là il portera ses regards
vers le ciel, dont il soutiendra plus facilement la vue, quand il contemplera
pendant la nuit la lune [516b] et les étoiles, qu’il ne pourrait le faire,
pendant que le soleil éclaire l’horizon.
- Je le crois.
- A la fin il pourra, je pense, non-seulement voir le
soleil dans les eaux et partout où son image se réfléchit, mais le contempler
en lui-même à sa véritable place.
- Certainement.
- Après cela, se mettant à raisonner, il en viendra à
conclure que c’est le soleil qui fait les saisons et les années, qui gouverne
[516c] tout dans le monde visible, et qui est en quelque sorte le principe de
tout ce que nos gens voyaient là-bas dans la caverne.
- Il est évident que c’est par tous ces degrés qu’il
arrivera à cette conclusion.
- Se rappelant, alors sa première demeure et ce qu’on y
appelait sagesse et ses compagnons de captivité, ne se trouvera-t-il pas
heureux de son changement et ne plaindra-t-il pas les autres ?
- Tout-à-fait.
- Et s’il y avait là-bas des honneurs, des éloges, des
récompenses publiques établies entre eux pour celui qui observe le mieux les
ombres à leur passage, qui se rappelle le mieux en quel ordre [516d] elles ont
coutume de précéder, de suivre ou de paraître ensemble, et qui par là est le
plus habile à deviner leur apparition ; penses-tu que l’homme dont nous parlons
fût encore bien jaloux de ces distinctions, et qu’il portât envie à ceux qui
sont les plus honorés et les plus puissants dans ce souterrain ? Ou bien ne
sera-t-il pas comme le héros d’Homère, et ne préfèrera-t-il pas mille fois
n’être qu’un valet de charrue, au service d’un pauvre laboureur, et souffrir
tout au monde plutôt que de revenir à sa première illusion et de vivre comme il
vivait ?
- [516e] Je ne doute pas qu’il ne soit disposé à tout
souffrir plutôt que de vivre de la sorte.
- Imagine encore que cet homme redescende dans la caverne
et qu’il aille s’asseoir à son ancienne place ; dans ce passage subit du grand
jour à l’obscurité, ses yeux ne seront-ils pas comme aveuglés ?
- Oui vraiment.
- Et si tandis que sa vue est encore confuse, et avant que
ses yeux se soient remis et [517a] accoutumés à l’obscurité, ce qui demande un
temps assez long, il lui faut donner son avis sur ces ombres et entrer en
dispute à ce sujet avec ses compagnons qui n’ont pas quitté leurs chaînes,
n’apprêtera-t-il pas à rire à ses dépens ? Ne diront-ils pas que pour être
monté là-haut, il a perdu la vue ; que ce n’est pas la peine d’essayer de
sortir du lieu où ils sont, et que si quelqu’un s’avise de vouloir les en tirer
et les conduire en haut, il faut le saisir et le tuer, s’il est possible.
- Cela est fort probable.
- Voilà précisément, cher Glaucon, [517b] l’image de notre
condition. L’antre souterrain, c’est ce monde visible : le feu qui l’éclaire,
c’est la lumière du soleil : ce captif qui monte à la région supérieure et la
contemple, c’est l’âme qui s’élève dans l’espace intelligible. Voilà du moins
quelle est ma pensée, puisque tu veux la savoir : Dieu sait si elle est vraie. Quant
à moi, la chose me paraît telle que je vais dire. Aux dernières limites du
monde intellectuel, est l’idée [517c] du bien qu’on aperçoit avec peine, mais
qu’on ne peut apercevoir sans conclure qu’elle est la cause de tout ce qu’il y
a de beau et de bon ; que dans le monde visible, elle produit la lumière et
l’astre de qui elle vient directement ; que dans le monde invisible, c’est elle
qui produit directement la vérité et l’intelligence ; qu’il faut enfin avoir
les yeux sur cette idée pour se conduire avec sagesse dans la vie privée ou
publique.
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